Consécration de l'abattement pour constructions irrégulières dans le cadre de la fixation d'une indemnité d'expropriation

Il est ADMYS que la présence sur un terrain de constructions irrégulières peut justifier un abattement sur la valeur vénale d’un bien immobilier dans le cadre d’une procédure de fixation d’une indemnité d’expropriation.

 

La Troisième Chambre de la Cour de cassation est, dans un arrêt rendu le 9 novembre 2023, venue apporter une nouvelle pierre à l’édifice de la jurisprudence en matière de fixation d’indemnité d’expropriation, en précisant que le juge peut tenir compte de la présence de constructions irrégulières sur un bien exproprié.

 

En l’espèce, deux propriétaires en indivision d’une parcelle grevée d’un emplacement réservé avaient exercé leur droit de délaissement, conformément à l’article L. 151-2 du Code de l’urbanisme. Aucun accord sur le prix n’ayant pu être trouvé, la Commune avait alors saisi le juge de l’expropriation aux fins d’ordonner le transfert de propriété et fixer le prix de cession, en application de l’article L. 230-3 du Code de l’urbanisme.

 

En cause d’appel, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu que, sur la base d’un rapport d’expertise, une partie significative des constructions présentes sur la parcelle délaissée avait été édifiée sans permis de construire, si bien qu’il y avait lieu d’appliquer un abattement sur la valeur du bien.

 

Les propriétaires insatisfaits avaient alors saisi la Cour de cassation d’un pourvoi soutenant d’une part, que cet abattement n’avait pas lieu d’être dès lors que l’action en démolition était prescrite et, d’autre part, que la Cour d’appel avait outrepassé les pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article L. 311-8 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (CEPUP). Cet article permet, en effet, au juge de l’expropriation, en cas de contestation sérieuse sur le fond du droit, de fixer autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et de renvoyer les parties à se pourvoir devant qui de droit.

 

En d’autres termes, les requérants reprochaient aux juges de la chambre des expropriations de la Cour d’appel tant de s’être prononcés sur l’illicéité des constructions présentes sur le terrain que d’en avoir tenu compte en pratiquant un abattement sur la valeur vénale du bien, en dépit d’une prescription de l’action en démolition concernant ces mêmes constructions.

 

Cependant la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel. Elle précise ainsi que tenir compte de l’illicéité de la construction n’outrepasse pas les pouvoirs qui sont conférés au juge de l’expropriation par l’article L. 311-8 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, de la même manière que la prescription de l’action en démolition n’empêche pas l’application d’un abattement pour illicéité des constructions dès lors que cette irrégularité est établie par le dossier.

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient donc tolérer un nouvel abattement pour construction irrégulière. Avaient déjà été admis par la Cour de cassation les abattements pour dépollution (Cass. 3ème civ., 9 octobre 2012, n° 11-23.962) ou pour encombrement (Cass. 3ème civ., 8 février 2012, n° 10-27.448). Cette jurisprudence vient ainsi clarifier le traitement des constructions irrégulières dans le cadre des procédures d’expropriation en soulignant que leur présence peut diminuer la valeur du terrain. Cette appréciation et la détermination de l’indemnité qui en résulte restent toutefois à l’appréciation souveraine des juges du fond, si bien que la preuve de l’irrégularité des constructions et leur incidence peuvent toujours faire l’objet d’âpres débats devant les juges du fond.