Conséquences temporelles de la modification d'une demande de permis de construire en cours d'instruction

Le Conseil d’État s’est prononcé, dans un arrêt rendu le 1er décembre 2023 en formation de chambres réunies et publié au recueil Lebon, sur les prérogatives de l’administration lorsque des modifications sont apportées par le pétitionnaire pendant la phase d’instruction de sa demande de permis de construire, notamment quant au délai d’instruction prévu à l’article R. 423-23 du Code de l’urbanisme.

 

En l’espèce, la Société SAMSUD avait déposé le 22 juillet 2016 une demande de permis de construire portant sur deux immeubles à usage d’habitation sur le territoire de la Commune de Gorbio (Alpes-Maritimes). La société avait modifié la demande de permis en envoyant de nouvelles pièces au service instructeur les 27 octobre et 25 novembre 2016. Par un arrêté du 26 décembre 2016, le maire avait refusé le permis de construire.

 

Cet arrêté a toutefois été annulé par un jugement du Tribunal administratif de Nice du 6 novembre 2019, confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 19 novembre 2020.

 

Devant la Cour administrative d’appel, la Société SAMSUD se prévalait de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme, en soutenant qu’un permis tacite était né et que le refus de permis devait être regardé comme un retrait de permis tacite. Dès lors, il était soutenu que ledit retrait méconnaissait la procédure contradictoire prévue par l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration.

 

Les juges d’appel ont fait droit à cet argument, en retenant que l’envoi des nouvelles pièces n’avait pas été de nature à faire courir un nouveau délai d’instruction, et qu’un permis de construire tacite était donc né le 29 novembre 2016, lequel aurait donc été retiré par le maire.

 

Saisi en cassation par la Commune, le Conseil d’État devait trancher le point de savoir si la modification apportée par le pétitionnaire à sa demande de permis de construire pendant la phase d’instruction était susceptible d’avoir une incidence sur le délai d’instruction et donc sur la date de naissance d’un permis tacite.

 

Il vient en ce sens poser de nouveaux principes.

 

  • En premier lieu, il admet la possibilité pour l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite.

 

  • Il ajoute toutefois que lorsque le service instructeur considère que l’examen de ces modifications ne peut être menée à bien dans le délai d’instruction, compte tenu de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles sont présentées, elle doit en informer le pétitionnaire par tout moyen, avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite. L’administration doit également lui indiquer la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, un permis tacite sera né.

 

  • Une fois ces informations délivrées au pétitionnaire, le Conseil d’État précise que l’administration doit alors être regardée comme saisie d’une nouvelle demande, qui se substitue à la demande initiale à compter de la date de réception de la modification, avec un nouveau délai de droit commun qui recommence à courir.

 

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel pour erreur de droit en considérant qu’en l’espèce, il appartenait au service instructeur de rechercher si les modifications pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet de constituer une nouvelle demande et donc d’ouvrir un nouveau délai d’instruction.

 

Par cet arrêt, le Conseil d’État ouvre un nouveau droit pour l’administration en lui permettant, au cas par cas, de reporter le délai d’instruction d’un permis de construire lorsqu’elle estime que l’examen des modifications demandées ne peut intervenir avant l’expiration de ce délai. Elle doit alors en informer le pétitionnaire, avant la date à laquelle un permis tacite serait normalement intervenu, et lui indiquer la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, un permis tacite sera né. Le demandeur d’une autorisation d’urbanisme peut donc désormais s’exposer à un report du délai d’instruction si les modifications du projet qu’il demande sont trop importantes ou si ces dernières sont transmises trop tardivement.