Dérogation dite "espèce protégée" : le Conseil d'État réitère la prise en compte des mesures de réduction dans l'appréciation du "risque suffisamment caractérisé"

Il est ADMYS que l’appréciation du risque « suffisamment caractérisé », rendant obligatoire le dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées, doit prendre en compte les mesures de réduction prévues par le projet (CE, 8 mars 2024, n°463249).

 

Pour mémoire, le Conseil d’État a rendu le 9 décembre 2022 un avis sur le régime des dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

 

Dans cette affaire, le Conseil d’État était interrogé par la Cour administrative d’appel de Douai sur les circonstances dans lesquelles un pétitionnaire était dans l’obligation de solliciter une dérogation « espèce protégée » prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

 

Selon le Rapporteur Public chargé de l’affaire, le pétitionnaire n’aurait pu être tenue de solliciter cette demande que dans la mesure où le risque était ramené à un « niveau négligeable », de sorte qu’il puisse être regardé comme « accidentel » (Conclusions de Monsieur Nicolas AGNOUX, Rapporteur public sur l’affaire n°463563).

 

Le Conseil d’État s’est cependant positionné dans une lecture plus souple de cette obligation, et a déclaré que la dérogation devait être sollicitée lorsque l’atteinte aux espèces protégées était « suffisamment caractérisée » au regard des mesures « d’évitement » et de « réduction » (CE, Avis contentieux, n°463563, Association sud-Artois pour la protection de l’environnement, 9 décembre 2022) :

 

« Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte.

 

Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation « espèces protégées ».

 

Depuis cet avis, les juges administratifs ont tenté de définir, dans les affaires pour lesquels ils sont saisis, les contours de ce « risque suffisamment caractérisé ».

 

Le Conseil d’État a estimé, par un arrêt du 17 février 2023 rendu le cadre d’un contentieux relatif à un parc éolien, que l’identification d’un risque « faible à modéré » de modification des trajectoires de migration, et « non significatif » de collision, n’était pas un risque « suffisamment caractérisé » rendant nécessaire la demande de dérogation susvisée (CE, 6ème chambre, 17/02/2023, n°460798).

 

De même, dans un arrêt rendu le 16 décembre 2023, le Conseil d’État a rappelé une fois encore que le critère de « risque suffisamment caractérisé » ne signifie pas la démonstration d’un risque « négligeable » (Conseil d’État, 6ème chambre, 06/12/2023, n°466696).

 

Le Conseil d’État est récemment venu rappeler que le juge administratif devait obligatoirement prendre en compte les mesures de réduction proposées par la société pétitionnaires pour ramener de « moyen » à « faible » l’impact résiduel du projet sur les espèces protégées  (Conseil d’État, 6ème chambre, 14/02/2024, n°471197).

 

Il a été contraint de rappeler ce principe une nouvelle fois dans un arrêt récent du 8 mars 2024 (CE, 8 mars 2024, n°463249). Dans cette affaire, le juge n’avait pas pris en compte le bridage des éoliennes, qui constitue une mesure de réduction, dans l’appréciation du risque aux espèces.

 

Le Conseil d’État continue de veiller à l’application concrète des conditions posées dans son avis de 2022.

 

Les pétitionnaires doivent prendre en considération, lors de l’élaboration de leur projet, que l’appréciation de l’existence d’un risque d’atteinte par le juge, ne prend pas en compte les éventuelles mesures de compensation développées dans le projet.

 

Seules les mesures de réduction et d’évitement seront analysées par le juge.