Le droit de grève à l'épreuve du pouvoir de réquisition du Préfet

Depuis plusieurs semaines, la grève des raffineries de pétrole, initiée par la Confédération Générale du Travail (CGT), se généralise sur le territoire français. 

 

Le droit de grève est un droit à valeur constitutionnelle. Il est consacré à l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». 

 

Dans le secteur public, le droit de grève est limité par le principe de sauvegarde et de continuité du service public ainsi que la préservation de l’ordre public (Voir en ce sens Conseil Constitutionnel, décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail). Ce droit n’est donc pas absolu. La haute juridiction constitutionnelle a précisé que : « ces limitations [au droit de grève] peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». 

 

C’est dans ce cadre que le Préfet dispose d’un pouvoir de réquisition. Aux termes de l’article L. 2215-1 4° du Code Général des Collectivités Territoriales, « en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées ».

 

Dans le cadre de la grève actuelle, en raison des débordements constatés dans différentes stations-services et du manque d’approvisionnement de nombreuses stations-services (dans certains département de France environ 30% des stations-services ne détiennent plus de carburants depuis plusieurs jours), plusieurs Préfets ont fait usage de leur pouvoir de réquisition. 

 

C’est ainsi que le Préfet de la Seine-Maritime a pris un arrêté le 12 octobre 2022 portant réquisition de personnels chargés de l’activité de pompage et d’expédition du site Exxon Mobil de Port-Saint-Jérôme-sur-Seine et de grévistes de la plateforme de Gravenchon. 

Saisi par la fédération nationale des industries chimiques CGT, le juge des référés du Tribunal administratif de Rouen, a rejeté la requête en référé-liberté par une ordonnance du 13 octobre 2022 au motif que « les mesures de réquisition contenues dans l’arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 13 octobre 2022 » ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève.

Le juge a considéré que l’arrêté comprenait un nombre restreint d’agents réquisitionnés sur une période de courte durée (du 12 octobre 2022 au 13 octobre 2022 à 14 heure). La mesure de police administrative était donc ni générale ni absolue. 

 

Le juge administratif a opéré un contrôle de proportionnalité de la mesure au regard des troubles à l’ordre public. Il a notamment apprécié le caractère nécessaire de la mesure de réquisition limitée au service minimum de pompage et d’expédition. Cette décision s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 octobre 2010 relatif aux réquisitions de Gargenville en 2010 visant à alimenter l’aéroport Charles-de-Gaulle (CE, 27 octobre 2010, n°343966, Fédération nationale des industries chimiques CGT).