La grille de lecture du Conseil d'État sur l'épineuse question de la communication des informations au candidat évincé

A l’heure où la protection des secrets commerciaux constitue une exigence particulière de la commande publique, le Conseil d’Etat poursuit son courant jurisprudentiel initié dans sa décision Centre hospitalier de Perpignan (30 mars 2016, n°375529) en matière de communicabilité des documents issus de la commande publique.   

 

Par une décision en date du 15 mars 2023 n°465171, la Haute Juridiction administrative a censuré l’occultation excessive par le concessionnaire des éléments de l’offre de l’attributaire, dont la communication avait été sollicitée par le candidat évincé.


En l’espèce, la Ville de Paris a attribué à la Société dite « CCF » une concession de services relatives à la conception, la fabrication, la pose, l’entretien, la maintenance et l’exploitation de mobiliers urbains également supports publicitaires. La Société dite « SOMUPI », évincée de la procédure, a sollicité la communication des documents relatifs à l’offre de la Société attributaire ainsi qu’à la passation du contrat. 

 

La Ville de Paris a opposé une réponse partiellement favorable à la Société, mais a refusé de lui communiquer certains documents, parmi lesquels les documents mentionnés par le premier adjoint au maire au cours d’une séance du conseil de Paris (1.), les courriers échangés entre la Ville et la Société CCF lors de la phase de négociation (2.) ainsi que le rapport d’analyse des offres occulté (3.), au motif du respect du secret des affaires.


Aux termes de l’application combinée des articles L. 300-2L. 311-1 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, la communication des documents administratifs à tout demandeur est restreinte au seul intéressé si celle-ci est susceptible de porter atteinte au secret des affaires. Toutefois, l’article L. 311-7 du même code fait exception à ce principe dans l’hypothèse où l’occultation des mentions non communicables est possible.

 

Fidèle à son approche casuistique de la question, le Conseil d’Etat a considéré que :

S’agissant des documents mentionnés par le premier adjoint à la mairie de Paris : le Conseil d’Etat confirme leur communicabilité dans la mesure où ils permettent à la Société SOMUPI d’être informée sur la réalité du montant de la garantie bancaire proposée par la Société attributaire ; 

 

Concernant les échanges survenus entre la Ville de Paris et la Société CCP durant la phase de négociation : les juges ont indiqué que, bien que les documents relatifs au contenu des offres présentées dans le cadre des contrats de la commande publique soient des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, « les documents et informations échangés entre l’administration et un candidat lors de la phase de négociation d’un contrat de la commande publique, dès lors qu’ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l’article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables ». Sur ce point, l’appréciation des juges du fond se révèle donc entachée d’une erreur de droit.

 

Pour ce qui est d’une version « moins occultée » du rapport d’analyse des offres : le Conseil d’Etat indique que seuls les éléments révélant les procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l’entreprise, tels que la mention des prix unitaires ou des caractéristiques précises des prestations, sont couverts par le secret des affaires et sont dès lors non communicables. A l’inverse, les « éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu’à leur nombre et au calendrier de leur déploiement » présentent un caractère communicable au regard du code des relations entre le public et l’administration.

Par cette approche nuancée du caractère communicable des différents éléments d’un même document, en l’espèce le rapport d’analyse des offres, le Conseil d’Etat œuvre en faveur d’une plus grande transparence de l’information due au candidat évincé d’un contrat de la commande publique. 

 

Toutefois, cette démarche tend à développer une approche casuistique de ce que recouvrent les notions de « stratégie commerciale de l’entreprise » et de « procédés de fabrication ». Elle ouvre cependant la voie à d’autres développements jurisprudentiels de la question.