Le titulaire sortant d'un marché doit communiquer à ses concurrents les informations relatives à l'évolution de la masse salariale à reprendre

Aliud est celare, aliud tacere. « Cacher est une chose, taire en est une autre », selon la maxime romaine.

Par une décision du 11 janvier 2023 (n°20-13.967, Société Véolia Propreté), la Cour de cassation a donné une illustration de la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle entre concurrents titulaire(s) et candidat(s) d’un marché public, en l’espèce lorsque le titulaire ne communique pas certaines informations essentielles à l’élaboration, par le candidat, d’une offre.

En 2013, une commune avait lancé un appel d’offres pour le renouvellement des marchés de collecte de déchets de plusieurs de ses arrondissements.

Elle avait finalement attribué un lot à une société ainsi qu’à sa filiale.

L’article 1224-1 du code du travail et la convention collective nationale des activités du déchet imposaient au titulaire entrant de reprendre les salariés de l’entreprise sortante dans les conditions qui leur étaient applicables au moment de ce changement de titulaire. Cependant, la société sortante avait, pendant la passation du marché, négocié et conclu des accords ayant pour effet, d’une part, d’augmenter les salaires et, d’autre part, d’y intégrer des primes et indemnités, avec effet différé après la reprise du marché.

Les sociétés nouvellement titulaires avaient assigné en responsabilité les sociétés sortantes en arguant que la société titulaire, qui ne les avait pas informées de ces nouvelles modalités de rémunération, avait mis en œuvre des pratiques déloyales à leur égard.

La Cour d’appel avait débouté les sociétés demanderesses en retenant qu’il ne pouvait se déduire, ni du CCAP ni des demandes formulées par la Commune, que le titulaire sortant du marché avait l’obligation d’informer spontanément le pouvoir adjudicateur de toute modification substantielle et durable des conditions d’emploi et de rémunération du personnel affecté à l’exécution de ce marché.

La Cour de cassation rejoint l’arrêt de la cour d’appel en constatant qu’aucune disposition légale, réglementaire, ni issue du CCAP applicable, n’interdisait au titulaire sortant d’augmenter des salaires ou d’accorder des avantages à l’occasion d’une convention collective. À noter qu’au cas d’espèce, ces augmentations concernaient l’ensemble des salariés de l’entreprise titulaire et non seulement ceux devant être repris.

Ainsi, ces avantages ne constituaient ni un abus de droit ni un acte de concurrence déloyale.

Cependant, la Cour de cassation casse cet arrêt au motif que cette décision méconnaît l’article 1240 du code civil. Pour rappel, ce dernier dispose que :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

La Cour de cassation pose ainsi en principe que le titulaire d’un marché soumis à un appel d’offres en vue de son renouvellement et dont les contrats de travail liés à la réalisation de ce marché doivent être repris par l’attributaire, commet une faute « en ne communiquant pas une information, telle que les évolutions prévues de la masse salariale concernée par l’obligation de reprise du personnel, essentielle à l’élaboration de leurs offres par les candidats et qu’il est seul à connaître ».

Plus surprenant, la Cour de cassation en déduit qu’une telle faute est de nature à « faire obstacle au respect des règles de publicité et de mise en concurrence ».

Il s’en déduit qu’une telle omission peut constituer une faute délictuelle et donner lieu à réparation par l’ancien titulaire au nouvel attributaire du marché public.

Cette jurisprudence civile apporte un éclairage nouveau sur l’information préalable des candidats à un marché public s’agissant de la reprise du personnel.

En effet, jusqu’alors, les principales décisions émanaient des juridictions administratives censurant les acheteurs pour ne pas avoir communiqué suffisamment d’informations sur la masse salariale (CE, 19 janvier 2011, n°340773, Société TEP), si bien que l’absence d’information des candidats sur ce coût est constitutif d’un manquement de l’acheteur aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 1er juin 2011, n° 341323, Bureaux Veritas).

Or, les acheteurs font parfois face à la réticence des titulaires qui ne communiquent que tardivement ou de manière parcellaire ces renseignements.

Cette nouvelle décision sanctionnant dorénavant les titulaires eux-mêmes pourra ainsi permettre aux collectivités territoriales d’appuyer leurs demandes de renseignement et plus encore de faire peser sur les titulaires l’initiative de cette communication et l’actualisation des renseignements.

Cette jurisprudence peut ainsi être utilisée de deux manières :

    • d’une part, par les entreprises attributaires qui n’auraient pas obtenu tous les renseignements,
    • d’autre part, par la collectivité qui ne serait pas en mesure de répondre à son obligation d’information, faute de diligences de son titulaire.