Loi n°2023-171 du 9 mars 2023 : une dérogation factice à l'exclusion d'office des marchés publics ?

La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, est venue instaurer un régime de dérogation à l’exclusion d’office des procédures de marchés publics. Ce régime dérogatoire, conforme au droit de l’Union Européenne, peut-il pour autant rencontrer un véritable succès ?

 

En effet, le Code de la Commande publique prévoit certains cas d’exclusion d’office d’une société à une procédure de passation des marchés publics lorsque cette société est condamnée pénalement. Ce peut être, notamment, des cas de condamnation pour des infractions relatives au trafic de stupéfiants (article L. 2141-1 du Code de la Commande publique) ou en cas de travail dissimulé (article L. 2141-4 du Code de la Commande publique).

 

Afin de se mettre en conformité avec l’arrêt de la CJUE du 11 juin 2020, (CJUE, 11 juin 2020, Vert Marine SAS c/ Premier Ministre et ministre de l’économie et des finances, req. n° C-472/19) la loi du 9 mars 2023 a créé L. 2141-6-1 du Code de la Commande publique.

 

Aux termes de cet article, un acheteur public peut autoriser à titre exceptionnel une personne placée en exclusion d’office à candidater si elle est en mesure de démontrer sa fiabilité (réserve faite des peines d’exclusion explicitement prononcées par le juge répressif) :

 

« La personne qui se trouve dans l’un des cas d’exclusion mentionnés aux articles L. 2141-1, L. 2141-4 et L. 2141-5 peut fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité, notamment en établissant qu’elle a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation du préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute, qu’elle a clarifié totalement les faits ou les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête et qu’elle a pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute. Ces mesures sont évaluées en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières de l’infraction pénale ou de la faute. (…) »

 

Ces dispositions donnent cependant une large marge de manœuvre au pouvoir adjudicateur dès lors que c’est à lui qu’il revient d’apprécier concrètement si le potentiel candidat est fiable, compte tenu notamment de la gravité des infractions qui ont été sanctionnées ou de la faute constatée.

 

D’un point de vue pratique, ces dispositions pourraient ainsi être difficilement mises en œuvre :

 

  • Pour les entreprises concernées par les cas d’exclusion d’office, cela reviendra à devoir mettre en œuvre des moyens humains et financiers sur une candidature qui n’a pas l’assurance d’être admise. En outre, la dérogation devra être sollicitée pour chaque marché public auquel il est envisagé de candidater, ce qui peut s’avérer lourd sur le plan administratif (ceci implique de mobiliser du personnel, éventuellement engager des frais de conseil auprès d’un avocat pour être accompagné, etc.). En d’autres termes, à chaque candidature, les sociétés concernées devront passer sous les fourches caudines de l’acheteur pour tenter de le convaincre de déroger à l’exclusion.
  • Pour les collectivités, plusieurs éléments viendront restreindre l’utilisation de cette dérogation : le caractère récent de la réforme, la nécessité grandissante de travailler avec des sociétés exemplaires (compte tenu du caractère éminemment politique des marchés publics ainsi que de la défiance croissante à l’égard de l’action publique), mais surtout, le risque de voir les concurrents soulever ce motif pour contester la régularité de la procédure. 

 

Dans les deux cas, le caractère effectif de cette dérogation prête à caution et il n’est pas assuré que ces dispositions rencontrent à l’avenir un franc succès.

 

Leur mobilisation peut cependant s’avérer utile pour une société candidate lorsque la condamnation résulte d’infractions mineures ou qu’elle n’est pas une habituée des procédures de passations de marchés publics.

 

Dans tous les cas, pour les sociétés, on ne pourra que répéter qu’il est nécessaire de demeurer attentif, en tout temps, aux risques pénaux et administratifs, compte tenu des conséquences particulièrement dommageables que peuvent avoir à long terme les sanctions et les condamnations.