Vallée de la Maurienne : annulation sans rattrapage du schéma de cohérence territoriale

L’annulation totale de documents d’urbanisme, sans possibilité de « rattrapage » reste une hypothèse rare. Les juridictions administratives, aiguillées en ce sens par le législateur, lui préfèrent généralement la régularisation en cours d’instance, après sursis à statuer, offrant à l’autorité administrative une seconde chance d’échapper à une censure définitive (article L. 600-9 du Code de l’urbanisme) ou, plus classiquement, l’annulation partielle « en tant que » (article L. 153-7 du Code de l’urbanisme), permettant de cantonner la sanction pour maintenir en vigueur les dispositions non illégales du PLU ou du SCOT. 

 

Enfin, plus rarement, l’annulation différée a pu être utilisée (pour exemple CAA de Lyon, 29 juin 2010, n°09LY02176) mais cette hypothèse a tendance à être exclue dans la mesure où l’annulation d’un document d’urbanisme remet en vigueur celui qui lui est antérieur (article L. 600-12 du Code de l’urbanisme), ce qui évite en principe les « conséquences manifestement excessives » potentiellement attachées à l’annulation immédiate (CAA Lyon, 29 juin 2010, n° 09LY02176).

 

Dans le cadre du litige portant sur le SCOT du Pays de la Maurienne, ces solutions alternatives à l’annulation ont été écartées. Plusieurs associations de défense de l’environnement, ainsi que quelques particuliers, ont demandé au Tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir la délibération du 25 février 2020 par laquelle le comité syndical du Pays de la Maurienne a approuvé le SCOT dont il avait prescrit l’élaboration le 14 septembre 2015.

 

Par une ordonnance n° 2101609 du 9 avril 2021, le juge des référés du Tribunal avait déjà suspendu partiellement les effets du SCOT, estimant qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de cinq unités touristiques nouvelles (UTN) figurant dans le document. 

 

Les requérants reprochaient principalement au SCOT, qui planifiait notamment le développement du tourisme en montagne par la réhabilitation de 11 567 lits touristiques, le déploiement de 22 800 nouveaux lits et l’extension de plusieurs domaines skiables, l’insuffisance de l’évaluation environnementale, la contradiction entre le document d’orientation et d’objectifs, le rapport de présentation et les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD), des erreurs d’appréciation portant sur la création de plusieurs unités touristiques nouvelles et la méconnaissance du principe d’équilibre énoncé à l’article L. 101-2 du Code d’urbanisme.

 

Le jugement du Tribunal, rendu au fond, le 30 mai 2023, est sans équivoque (TA Grenoble, 5ème chambre, 30 mai 2023, n°2002427, 2004369, 2004919).

 

En premier lieu, s’agissant du rapport de présentation dans sa partie relative à l’évaluation environnementale, il a été considéré que chacune des unités touristiques nouvelles créées par le SCOT aurait dû faire l’objet d’une justification des choix opérés au regard des solutions de substitution raisonnables. Cela n’étant pas le cas, l’évaluation environnementale a donc été jugée insuffisante et ce vice a été qualifié de substantiel.

 

En deuxième lieu, il a été relevé que le document d’orientation et d’objectifs, mentionnant la création de milliers de lits touristiques, n’était pas en cohérence avec l’objectif du PADD, relatif au « développement d’un tourisme raisonné, respectueux des espaces naturels et tendant au développement touristique en dehors de la seule saison hivernale ».

 

En troisième lieu, les juges du fond ont estimé que pas moins de sept des dix unités touristiques nouvelles instituées par le SCOT étaient entachées d’erreur d’appréciation, notamment en ce qu’elles impliquaient des atteintes excessives à des espèces protégées, à la végétation environnante et à des zones humides. Pour l’une des UTN, le Tribunal a même parlé d’atteinte « grave et irrémédiable aux milieux naturels ».

 

En quatrième lieu, le Tribunal a conclu à la méconnaissance du principe d’équilibre. Les auteurs du SCOT se voient reprocher d’avoir planifié le développement du tourisme en station de ski sans envisager la rationalisation des lits touristiques déjà existants, pourtant sous-occupés (appelés lits « froids » ou « tièdes ») :

« les lits existants ne sont pas pleinement occupés même en haute saison. Aucune réflexion particulière n’a été menée afin de réhabiliter les cœurs de stations dans l’enveloppe existante et gérer le problème récurrent des lits froids ou tièdes (…) sans égard pour les conséquences immédiates de telles extensions urbaines des centres station sur des zones vierges de construction (…) Compte tenu de ce constat, qui révèle une absence de maîtrise de l’étalement urbain sur des zones de montagne aux intérêts environnementaux et patrimoniaux importants (…) ».

 

Plus que le constat du cumul de ces illégalités, c’est la sévérité des termes employés dans la motivation du jugement qui ne manque pas d’attirer l’attention.

 

Au surplus, le Tribunal a écarté toute régularisation, jugeant qu’au regard de la nature et de l’importance des illégalités commises, la révision du SCOT était nécessaire. Par ailleurs, l’hypothèse d’une annulation différée fut exclue, la circonstance que des PLU soient en cours d’élaboration sur le fondement du SCOT entaché ne le justifiant « aucunement, et au contraire compte-tenu des moyens retenus ».

 

Il s’agit d’un jugement dont le sens ne laisse place à aucune ambiguïté, et qui invite très clairement les administrations compétentes en matière de planification à intégrer, dans les partis d’aménagement du territoire qu’elles définissent, les problématiques environnementales du territoire.