L’organisation d’évènements festifs à l’approche d’un scrutin soulève ainsi des interrogations légitimes quant à leur impact potentiel sur l’équité du processus électoral. Le juge administratif adopte une analyse in concreto fondée sur un faisceau d’indices, afin de déterminer si ces initiatives relèvent de l’information légitime ou d’une manœuvre électoraliste prohibée.
La campagne électorale période électorale se décline en plusieurs temporalités.La période dite « préélectorale » débute, en application de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016, au premier jour du sixième mois précédant le mois du scrutin. Elle ouvre une phase de vigilance renforcée sur les communications institutionnelles. La campagne électorale officielle, quant à elle, s’ouvre à compter du deuxième lundi précédant la date du scrutin et se clôt la veille de celui-ci à minuit, conformément à l’article L.47 A du Code électoral. En cas de second tour, une nouvelle campagne s’enclenche dès le lendemain du premier.
Les enjeux de cette période électorale sont multiples.Ils concernent en particulier le respect des règles relatives au financement des campagnes, la régulation de la propagande électorale, l’encadrement des réunions publiques et la maîtrise des usages numériques à des fins politiques.Ces éléments participent à garantir l’égalité entre les candidats et à préserver la sincérité du scrutin.
Dans ce cadre, la jurisprudence administrative a progressivement dégagé quatre principes fondamentaux applicables à la communication électorale,notamment en période préélectorale. Ces principes – neutralité, antériorité,régularité et identité – ne sont pas cumulatifs mais constituent un faisceau d’indices permettant d’apprécier la légalité des prises de parole et publications institutionnelles.
La neutralité impose que les messages diffusés soient strictement informatifs, dépourvus de toute connotation politique ou électorale. La communication ne doit contenir aucun message polémique ou orienté, comme l’a rappelé le Conseil d’État (CE, 3 déc. 2014, El. Mun. deLa Croix Saint- Leufroy, n° 382217).
L’exigence d’antériorité invite à considérer si la communication contestée s’inscrit dans une pratique habituelle et régulière. Une action spécifiquement initiée à l’approche d’un scrutin, sans fondement dans les usages précédents de la collectivité, est susceptible d’être requalifiée en acte de propagande (CC,13 décembre 2007, Bouches-du-Rhône, n°2007-3844AN).
La régularité de la communication est également un critère déterminant. Le juge électoral veille notamment à ce que la fréquence, le format et le contenu des publications institutionnelles ne varient pas significativement à l’approche du scrutin. Une intensification soudaine ou une évolution notable de ces éléments peut trahir une intention électorale.
Enfin,le principe d’identité impose à la collectivité de conserver la forme et la fréquence habituelle de ses communications. Toute modification de ces modalités pourrait être interprétée comme un biais en faveur d’un candidat ou d’une liste.
Ce faisceau d’indices est mobilisé de manière analogue lorsqu’il s’agit d’apprécier la légalité d’évènements festifs organisés par une collectivité en période préélectorale. Le juge cherche alors à distinguer ce qui relève de l’information normale des administrés et ce qui constitue une campagne promotionnelle déguisée.
Le Conseil d’État a ainsi considéré (CE, 9 juin 2015, n° 385736)que l’organisation d’une manifestation publique n’était pas constitutive d’une campagne promotionnelle dès lors qu’elle s’inscrivait dans le cadre de l’activité habituelle de la collectivité.
Cette approche a été confirmée à plusieurs reprises. Lorsqu’elle communique en période préélectorale, une collectivité doit impérativement veiller à rester dans le strict cadre de l’information à destination des administrés (CE, 30 novembre 1998, n° 195223).
De même, un maire peut intervenir publiquement lors d’un évènement organisé par la collectivité qu’il administre, à la condition que les propos tenus ne participent pas à une démarche électorale (CE,22 novembre 2021, n° 448743).
Les évènements culturels, sportifs ou festifs organisés à proximité du scrutin peuvent également être examinés à l’aune de leur influence potentielle sur le vote.Toutefois, le juge refuse de présumer une intention électoraliste sans éléments tangibles. Ainsi, l’organisation d’un concert par une association dont le président figurait sur la liste du maire sortant n’a pas été jugée comme une manœuvre susceptible d’avoir influencé le scrutin (CE, 30 avril 2009, n° 321840).
La question du financement de ces manifestations est centrale.Le principe d’interdiction du financement électoral par des personnes morales, posé par l’article L.52-8 du Code électoral, s’applique pleinement. Dès lors,une collectivité ne peut participer, même indirectement, au financement de la campagne d’un candidat. Toutefois, cette interdiction ne trouve pas à s’appliquer lorsque l’évènement organisé ne revêt aucun caractère électoral. La jurisprudence admet en effet que l’organisation d’un spectacle, si elle est exempte de tout lien avec la campagne d’un candidat, ne constitue pas une participation financière prohibée (CE,29 septembre 2021, n°448954).
Conclusion
En définitive, la légalité des évènements festifs organisés en période préélectorale dépend d’une appréciation in concreto opérée par le juge administratif. En l’absence d’éléments probants d’une volonté de promotion électorale, et si l’évènement s’inscrit dans les habitudes de la collectivité, il ne sera pas considéré comme ayant influencé le scrutin. Toutefois, dans un contexte de méfiance croissante à l’égard des pratiques électorales, les élus et les collectivités doivent redoubler de prudence dans la conduite de leurs actions publiques à l’approche des échéances électorales.