Il est ADMYS que le dysfonctionnement des plateformes de dématérialisation constitue un réel enjeu des procédures de passation des contrats de la commande publique, en raison notamment des conséquences qu’il peut entraîner sur la recevabilité de l’offre du candidat concerné.
En ce sens,le juge est très régulièrement amené à sanctionner les soumissionnaires qui font preuve d’un manque de diligence, admettant la mise à l’écart d’une offre irrégulière car incomplète en raison d’un dépôt tardif lié à des anomalies de plateformes (TA Toulon, Ord., 30 janvier 2020, Métropole Toulon Provence Méditerranée, req. n°1904516).
Deux décisions récemment rendues par des Tribunaux administratifs viennent illustrer ce constat et apporter d’utiles précisions quant à l’appréciation faite par le juge des diligences accomplies par les opérateurs économiques.
La première espèce, soumise aux juges du Tribunal administratif de Nantes, s’inscrit dans le cadre de la procédure de passation d’un contrat de concession de services pour la mise à disposition, l’installation, l’entretien, la maintenance et l’exploitation de mobiliers urbains par la commune de Montaigu-Vendée. Cette dernière a informé la société Philippe Védiaud qu’aucune offre n’avait été enregistrée à son nom avant la date limite de remise des candidatures et offres. C’est dans ce cadre que la société a sollicité du juge des référés qu’il annule la décision de rejet de sa candidature et de son offre, et enjoigne à la commune de reprendre la procédure de passation.
Après avoir succinctement rappelé les conditions dans lesquelles l’autorité concédante peut rejeter une offre comme irrégulière en raison de sa tardiveté, les juges retiennent que l’autorité concédante « ne saurait toutefois rejeter une candidature remise par voie électronique comme tardive lorsque le candidat, qui n’a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l’article R. 3122-15 du même code, établit, d’une part, qu’il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un opérateur économique pour le téléchargement de sa candidature et, d’autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal »(considérant 6).
Appliquant un tel considérant aux faits de l’espèce, le juge statue en faveur de la société Philippe Védiaud, en considérant que cette dernière a, contrairement à ce qui était avancé en défense, accompli les diligences nécessaires et notamment :
- réalisé plusieurs tentatives de dépôt, lesquelles ont donné lieu à l’affichage d’une fenêtre pop-up « cette réponse à déjà été envoyée ! », induisant en erreur la société quant au statut de dépôt de son pli (considérant8) ;
- réservé un délai suffisant pour le dépôt des pièces sur la plateforme de dématérialisation, pour lequel elle a apporté des éléments de preuve particulièrement étayés (connaissance de la plateforme et des délais de dépôt, comparaison avec les délais de dépôt d’autres offres de taille similaire, …) (considérant 9).
De telle sorte la décision prise par la commune de Montaigu-Vendée de rejeter sa candidature et de son offre doit être suspendue, avec injonction de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres en y intégrant celle de la société Philippe Védiaud.
La seconde affaire, portée devant les juges du Tribunal administratif de Toulouse,concerne la passation de quarante-six marchés subséquents d’un accord-cadre multi-attributaire ayant pour objet le transport des élèves et étudiants en situation de handicap pour le département de l’Ariège. La SAS Trans-mobilités Services, ayant déposé successivement plusieurs plis pour différents marchés, a vu six de ses offres écartées pour dépôt tardif. Après une première réclamation auprès du département, le SAS a formé un référé contractuel en vue d’obtenir l’annulation de quatorze marchés subséquents pour l’année scolaire 2025/2026.
En demande,la société alléguait de dysfonctionnements qui l’auraient empêchée de télécharger huit dossiers et de remettre six offres, en raison notamment d’une fenêtre lui indiquant qu’elle ne pouvait répondre à d’autres consultations pour la journée. En sus, la société arguait de trois appels restés sans réponse au service d’assistance téléphonique de la plateforme de dématérialisation.
Néanmoins,le juge, après avoir rappelé l’office du juge du référé contractuel, opère un listage particulièrement exhaustif des conditions générales d’utilisation(« CGU ») de la plateforme de dématérialisation, avant d’en tirer les conséquences suivantes :
- l’article 5 des CGU prévoit une limitation du nombre de téléchargements quotidiens ainsi que de dépôts sur la plateforme, à 5 occurrences pour chaque hypothèse, de telle sorte qu’en se connectant pour la première fois sur la plateforme le 3août 2025, soit quatorze jours avant la date de remise des offres, la société était réputée avoir non seulement pris connaissance des CGU mais également accepté celles-ci et était donc en mesure de répondre à l’ensemble des marchés subséquents malgré les limitations fixées ;
- l’article 7, quant à lui, prévoit les conditions d’accès au service d’assistance – avec une mise à disposition, les jours ouvrés, de 8h30 à 18h30, de telle sorte qu’en contactant la hotline les vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 août, la société ne pouvait se prévaloir de l’absence de réponse de la part du serveur.
En conséquence, les juges considèrent que le moyen tiré d’un dysfonctionnement de la plateforme, compte tenu du manque de diligence caractérisé de la société dans l’utilisation de la plateforme, doit être écarté.
Il résulte de ces deux affaires aux issues pourtant opposées que le juge opère un réel contrôle sur les arguments et différents éléments de preuve fournis par l’entreprise, qui supporte par ailleurs la charge de la preuve, pour attester du dysfonctionnement allégué de la plateforme de dématérialisation.
Conclusion
Si de telles décisions semblent assez strictes sur leur principe, il convient de nuancer à ce stade en rappelant que le juge apprécie de manière très concrète les circonstances propres à chaque espèce, de telle sorte que le dysfonctionnement peut être admis par le juge en cas d’apport, par l’entreprise, d’éléments venant corroborer de manière tangible le moyen tenant aux anomalies rencontrées lors du dépôt de l’offre.



















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