Par une décision rendue le 13 mars 2025 (CE, 13 mars 2025, Société Nord Sud Architecture, req. n° 498701), le Conseil d’État apporte de plus amples précisions sur l’application du délai de standstill prévu par l’article R.2182-1 du Code de la commande publique aux concours restreints pour la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre.
En l’espèce, par un avis de concours publié en mars2024, la commune de Migennes a lancé un concours restreint de maîtrise d’œuvre pour la construction d’une nouvelle médiathèque. Après avis du jury, la commune a admis deux groupements à la négociation, dont les mandataires respectifs étaient la société Nord Sud Architecture, dont le groupement a été placé en première position, et la société AA Group Dijon, classée seconde. Cette dernière a été désignée attributaire du marché public, tandis que la société Nord Sud Architecture s’est vu notifier le rejet de son offre par un courrier du 3septembre 2024.
La candidate évincée a dès lors introduit un référé précontractuel devant le Tribunal administratif de Dijon, rejeté le 20 septembre en raison de la signature du marché. Dans la continuité, la société a introduit un référé contractuel devant le même juge, rejeté le 18 octobre suivant au motif que le fait pour la commune, qui n’était pas légalement tenue au respect du délai de standstill auquel elle s’était pourtant délibérément astreinte, de ne pas avoir respecté ce délaine pouvait être utilement invoqué au soutien de la demande d'annulation du contrat au titre du référé contractuel.
Par cette décision, le Conseil d’État fournit deux apports.
En premier lieu, il valide la position du juge des référés du Tribunal administratif de Dijon selon laquelle le délai de standstill prévu à l’article R.2182-1 susvisé ne s’applique qu’aux marchés passés en procédure formalisée et pour lesquels la publication préalable d’un avis de marché au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) est imposée, ce qui n’est pas le cas de la procédure de concours, qui est une technique d’achat dont le régime est prévu aux articles R.2162-15 et suivant du Code.
Ainsi, même si le montant du marché atteint le seuil européen de procédure formalisée, à savoir 221 000 € HT depuis le 1erjanvier 2024 pour les marchés de fournitures et de services passés par les pouvoirs adjudicateurs autres que les pouvoirs adjudicateurs centraux,l’acheteur n’est pas tenu au délai prévu par l’article.
En second lieu, le juge applique strictement l’article L.551-18 du Code de justice administrative qui énumère les cas dans lesquels le juge peut prononcer la nullité du contrat au titre du référé contractuel, et notamment l’hypothèse dans laquelle le contrat a été signé avant l’expiration du délai de standstill dont le respect est exigé après envoi de la notification du rejet de l’offre.
De manière inédite pour un marché public dont le montant excède les seuils de procédure formalisée, le juge retient que l’annulation du contrat ne peut être prononcée par le juge du référé contractuel « quand bien même le pouvoir adjudicateur aurait pris l’initiative, sans y être tenu,de prévoir un tel délai ». Ainsi, si un acheteur peut librement instaurer un délai interne, son non-respect ne crée pas systématiquement une irrégularité juridique donnant lieu au prononcé de la nullité du contrat au titre du référé contractuel.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante depuis l’arrêt « Grand Port Maritime du Havre » (CE,19 jan. 2011, req. n°343435), qui affirme que le référé contractuel n’est ouvert que dans des cas limitativement énumérés par la loi. Ainsi, le Conseil d’État avait déjà tranché en ce sens en rejetant un référé contractuel déposé par une candidate évincée d’un contrat de délégation de service public (CE, 25oct. 2013, Cne de la Seyne-sur-Mer, req. n°370393).
Conclusion
Si cette décision semble critiquable au regard tant de la jurisprudence en vertu de laquelle l’acheteur qui décide de se soumettre à des règles plus contraignantes que celles qui lui sont légalement imposée doit respecter ces règles (CE, 10 octobre 1994, Ville de Toulouse, req. n°108691), le Rapporteur public sur cette affaire, Nicolas Labrune, rappelle très justement que « la circonstance qu’un pouvoir adjudicateur ait informé un candidat évincé de qu’il suspendrait la signature du contrat pendant un certain délai ne saurait avoir pour effet de rendre applicables à ce contrat des dispositions qui ne lui sont pas applicables et,si ce choix de la personne publique de suivre une procédure peut l’obliger à la respecter, il ne saurait en revanche modifier les compétences du juge ».
Pourrait alors se poser la question de l’engagement de la responsabilité de l’acheteur pour faute, pour transmission d’une information trompeuse…