Dans une affaire récente (CE, 1er décembre 2025, n° 503890), la commune X avait confié à la société Y une mission de maîtrise d’œuvre pour la rénovation des abords de l’église et de la voirie attenante, avec création d’un parvis et de zones pavées. Le lot « voirie – eaux pluviales» était attribué à une entreprise de travaux.
Au fil du chantier, les réunions de maîtrise d’œuvre font apparaître des désordres répétés : délitement des dalles, dégradation anormale du pavage et stabilité incertaine de certaines zones. Ces désordres ont été identifiés plusieurs mois avant la réception.
Pourtant, le25 juin 2004, la société Y a recommandé une réception sans réserve, alors que certaines reprises n’avaient été que partielles. La Commune X a suivi cet avis.
Quelquesannées plus tard, les désordres se généralisent et rendent nécessairesd’importants travaux de reprise. Une expertise les évalue à un peu plus de 430000 € TTC.
Saisi dans le cadre d’un recours à l’encontre de l’assureur du maitre d’œuvre, le juge judiciaire pose une question préjudicielle au juge administratif : « La société Y a-t-elle fautivement manqué à son devoir de conseil lors de la réception ? Et le cas échéant, quel est le montant du préjudice imputable à ces fautes ? »
Le Tribunal administratif saisi en première instance de cette question retient bien une faute de la société Y pendant la réception, mais considère que l’imprudence fautive de la commune constitue « l’origine exclusive » du préjudice, ce qui ferait obstacle à toute action contre le maître d’œuvre au titre de son devoir de conseil. Autrement dit, le fait que la commune connaisse l’origine des désordres mais procède tout de même à la réception sans réserve rendrait impossible l’engagement du maitre d’œuvre au titre de son devoir de conseil.
Le Conseil d’Etat a censuré cette analyse, en relevant les éléments factuels suivants :
- au vu des comptes rendus de chantier, le maître d’œuvre avait clairement identifié la gravité et le caractère évolutif des désordres dès janvier 2004.
- le maitred’œuvre avait initialement évoqué l’idée d’une réception avec réserves.Pourtant, le 25 juin 2004, il préconise une réception sans réserve, bien quecertains désordres n’aient été repris que partiellement.
- la commune nedisposait pas de services techniques et qu’elle a suivi l’avis de son maîtred’œuvre.
Selon lui, laresponsabilité du maitre d’œuvre peut être engagée « dès lors qu’il s’estabstenu d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectantl’ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personnepublique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir laréception de réserves ».
Il précise parailleurs que « la seule circonstance que le maître d’ouvrage aitconnaissance des désordres (…) avant sa réception ne saurait exonérer le maîtred’œuvre de son obligation de conseil ».
Pour autant,le Conseil d’État ne nie pas tout rôle à l’imprudence de la commune, qui justifieune limitation de la responsabilité du maître d’œuvre à la moitié dupréjudice subi par la commune.
Conclusion
Ainsi la réception sans réserve, même imprudente, ne prive pas automatiquement la collectivité de tout recours contre le maître d’œuvre lorsque celui-ci l’a insuffisamment conseillée.
Le juge administratif retiendra un partage de responsabilité plutôt qu’une exonération totale.
















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